COP16.2 : Un souffle nouveau pour la biodiversité

Susana Muhamad  @S.Gillet

Après des jours de tractations, de débats et d’incertitudes, la COP16 de la Convention sur la Diversité biologique (CDB) s’est achevée à Rome, dans la nuit du 27 au 28 février 2025, sur un accord décisif, contenu dans plusieurs textes aux dénominations parfois compliquées. Dans les couloirs de la FAO, lieu symbolique, s’est joué un chapitre crucial de la sauvegarde du vivant. 

Malgré les obstacles, les désaccords de dernière minute et les négociations nocturnes, une certitude demeure : le multilatéralisme, parfois vacillant, reste debout. Comme l’a affirmé le ministre canadien Steven Guilbeault : « Concordia salus, le salut dans l’harmonie, blason de la ville de Montréal. Le multilatéralisme n’est pas mort. » 

Un tournant décisif pour le financement de la biodiversité 

L’accord final n’a pas été obtenu sans peine. Les documents L26 (cadre de suivi) et L33 (mécanismes de planification) ont été, selon un négociateur « pris en otage » par des discussions clivantes sur le L34, au cœur des négociations sur les ressources financières. Le Zimbabwe, au nom des pays africains, a plaidé pour un nouveau fonds spécifique à la biodiversité sous l’autorité de la COP, en complément du Fonds pour l’Environnement mondial. Mais la Suisse et l’Ouzbékistan ont refusé en séance d’en soutenir la création, tout comme l’Union européenne, le Japon et le Canada, et ce, depuis la COP15. L’article 21 du texte d’origine de la CDB de 1992 a été alors exhumé afin que soit créé un mécanisme financier permanent sous l’autorité de la COP 

L'accord, enfin négocié par consensus, prévoit une augmentation progressive des financements destinés aux pays en développement, avec 20 milliards de dollars par an d'ici 2025, atteignant 30 milliards de dollars annuels d'ici 2030. Cette initiative vise à soutenir les efforts de conservation dans les régions les plus riches en biodiversité. 

Un élément clé de cet accord est le lancement officiel du « Fonds Cali », un mécanisme innovant destiné à encourager les industries tirant profit du séquençage génétique de la biodiversité, telles que les secteurs pharmaceutique et agroalimentaire, à contribuer financièrement à sa préservation. Aucune contribution n’aurait été enregistrée pour l’instant. 

Les subventions néfastes, elles, restent un sujet brûlant. 500 milliards de dollars par an y sont consacrés à travers le monde, un paradoxe auquel les États peinent encore à apporter une réponse claire. Un appel à la cohérence, résumé par Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche présente à Rome : « Soyons pragmatiques, pas de bureaucratie. », en réponse au souhait de créer un fonds différent du FEM. 

Rendre des comptes sans ingérence 

Les pays se sont engagés à publier des Stratégies et plans d'action nationaux pour la biodiversité en vue de la COP17, mais seuls près de 50 l’ont fait. L’Union européenne a d’ailleurs mis en garde contre une attente excessive envers cette prochaine COP qui aura lieu en 2026 en Arménie. 

Des mécanismes de planification, de suivi, de rapport et d'examen des progrès (PMRR) ont également pu être adoptés. Le cadre de suivi fournit les critères communs que les Parties utiliseront pour mesurer les progrès réalisés par rapport aux 23 cibles et aux 4 objectifs du Cadre. Cela permettra de garantir que toutes les Parties suivent les progrès d'une manière qui puisse être interprétée par les décideurs politiques nationaux, et cela devrait fournir des données qui pourront être agrégées jusqu'au niveau mondial et analysées par les observateurs. 

Les Parties ont également déterminé comment les engagements d’acteurs autres que les gouvernements nationaux peuvent être inclus dans le mécanisme PMRR – y compris les engagements des jeunes, des femmes, des peuples autochtones et des communautés locales, de la société civile et du secteur privé en particulier. « Il faut maintenant qu’une organisation s’en saisisse pour faire la synthèse des engagements pris par les acteurs économiques », estime, dans RSEDataNews, Sylvie Gillet, Directrice Biodiversité et Économie d’ORÉE et animatrice de la plateforme Entreprises et Biodiversité, en tant que point focal en France de la CDB pour les acteurs économiques. 

Des oppositions, sans doute liées aux rôles des opinions publiques dans ces pays, se sont exprimées de la part de pays d’Afrique et aussi de la Russie, du Brésil, l’Indonésie, l'Argentine et l’Égypte qui craindraient un greenwashing des entreprises. Pour les satisfaire et éviter un nouveau blocage, la possibilité que chaque contribution soit soumise à l’approbation du pays dans lequel l’acteur "non étatique" est basé. L’Union européenne et la Norvège ont accepté de lever leur opposition à cette réserve pour que les débats soient conclus, à plus de minuit, le 27 février.  Les principes de mise en oeuvre concrète et d'objection des Parties pourrait se révéler particulièrement délicat pour un mainstreaming de la biodiversité auprès de tous les acteurs intéressés. 

L33

Des mots qui portent, une présidente qui fédère 

Parmi les voix qui ont marqué cette COP16, celle de Susana Muhamad a résonné avec force et sincérité. Politologue et militante écologiste colombienne, elle a joué un rôle clé en tant que ministre de l'Environnement et présidente de la COP16, conseillée par une équipe rapprochée et le secrétariat de la CDB. Juste avant de venir à Rome, elle a démissionné de son poste ministériel en raison de désaccords au sein du gouvernement, avant d'être nommée directrice du Département national de Planification de la Colombie. Porteuse d’une vision, elle a su maintenir l’élan et insuffler une énergie nouvelle. Elle n’a pas retenu ses larmes au moment de l’adoption du document L34 : « J’annonce officiellement que nous avons donné des bras, des jambes, des muscles à l’accord mondial de la biodiversité Kunming-Montréal. » Une phrase qui sonne comme un cri de ralliement, un rappel que cet accord ne doit pas rester une déclaration d’intention, mais devenir une réalité tangible. « Nous restons sur notre soif », a pourtant confié le délégué de la République du Congo après l’adoption de l’accord, regrettant que des textes soient encore en suspens et des mécanismes de financement directs reportés. 

Une page tournée, un défi immense à relever 

Cette COP16 aura rappelé une vérité essentielle : préserver demain exige d’investir aujourd’hui. L’ombre des échecs passés plane encore, notamment ceux des objectifs d’Aichi, qui n’ont jamais été atteints. Mais cette fois, la dynamique semble différente. « Le monde nous regarde », martelait-on dans la salle de conférence. « C’est une victoire pour la protection de la biodiversité et c’est une victoire politique contre tous ceux qui veulent nous faire croire que la coopération internationale ne fonctionne pas pour défendre l’environnement », a affirmé Agnès Pannier-Runacher, dans une déclaration à la presse. « C’est tout le contraire, cette coopération internationale produit des accords et des résultats. Et la France et l’Union européenne sont au rendez-vous et pèsent dans le jeu », a-t-elle encore estimé. 

Agnès Panier-Runacher, ministre et Sylvie Lemmet, ambassadrice à l'environnement, en veste blanche. @SGillet



Ce qui a été décidé à Rome ne sera jugé que par le prisme de son application. Car un accord, même ambitieux, une « soft diplomacy qui peut marcher » pour reprendre les termes d’Astrid Schomaker, Secrétaire exécutive de la CDB, ne vaut que par les actions qu’il déclenche. Une certitude demeure : le compte à rebours a commencé. Car la nature ne peut plus attendre comme le rappelait lors de son discours d’ouverture de la COP16, le 25 février, Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU. 

Cette analyse s’appuie sur le suivi des débats diffusés en direct sur la chaîne officielle des Nations Unies, UNTV et des échanges informels du 24 au 27 février 2025.   

Plus de détails ici : Communiqué de presse officiel  et textes adoptés