COP16 Biodiversité : un bilan mitigé
"Nous sommes la nature… et c’est à partir de cette profonde connexion spirituelle et humaine que nous devons forger un objectif commun, aussi essentiel, voire plus, que la transition énergétique", a affirmé Susana Muhamad, ministre de l'Environnement de la Colombie et présidente de la COP16, lors de l’ouverture de l’événement réunissant 196 Parties/États ayant ratifié la Convention sur la Diversité biologique.
Organisée à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 1er novembre, la COP16 sur la biodiversité visait à catalyser des engagements concrets en faveur de la nature et à être la COP de déploiement du Cadre mondial de Kunming-Montréal (GBF) ratifié en décembre 2022 lors de la COP15. Bien que des progrès aient été réalisés, notamment sur la reconnaissance des populations autochtones et le partage des ressources génétiques, des divergences persistantes – notamment autour du financement de la biodiversité et du suivi des objectifs du Cadre mondial de Kunming-Montréal – ont révélé des tensions et une coordination internationale encore incomplète.
Les discussions prolongées au-delà du calendrier initial témoignent de l’importance des enjeux, mais aussi des obstacles à leur résolution. Les négociations, qui devaient se conclure le vendredi soir, ont été prolongées, avec une dernière session marquée par le départ anticipé de nombreux délégués, empêchant ainsi le quorum nécessaire pour valider certaines décisions cruciales. Une réunion intérimaire prévue en 2025 à Bangkok, Nairobi ou Montréal devrait permettre de poursuivre les discussions.
Avancées et limites
Les peuples autochtones au cœur des discussions
La création d'un organe subsidiaire permanent pour les peuples autochtones représente une avancée historique en matière de gouvernance participative dans les accords environnementaux. Ce processus de reconnaissance, symbolisé par le lieu même de la COP16 désignée comme "COP de la gente”, marque un tournant pour l’intégration de leurs savoirs dans la gestion des écosystèmes.
Un cadre en devenir pour le partage des avantages
La mise en place du "Fonds Cali", visant à valoriser et partager équitablement les bénéfices liés à l’utilisation des informations de séquençage numérique (DSI), constitue une avancée significative. Ce fonds volontaire pourrait mobiliser entre 15 et 19 milliards USD par an en incitant les entreprises concernées à contribuer. Cependant, la concrétisation de ce fonds dépendra de la mise en place de mesures incitatives et de sa gouvernance.
Des Stratégies Nationales Biodiversité inégales
Malgré 119 objectifs nationaux soumis, seules 44 parties (dont l’UE) ont actualisé leurs Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Biodiversité (SPANB). Les pays en développement invoquent un manque de financements, alors que d'autres, comme le Brésil et l’Inde, rencontrent des difficultés internes. La COP16 appelle à un soutien accru pour que tous les pays disposent d'une feuille de route claire.
Un financement fragmenté et insuffisant
Le financement de la biodiversité demeure un défi. Alors que l’accord de Kunming-Montréal prévoit de mobiliser 200 milliards USD par an d’ici 2030 pour combler un déficit de 700 milliards USD, seuls 163 millions USD ont été annoncés. Le manque d’engagement des pays riches a suscité des critiques, les pays en développement continuant à réclamer un fonds dédié différent du Fonds pour l’Environnement Mondial. La réorientation des dépenses néfastes à l’environnement a été peu traitée en séance plénière.
Un rôle croissant pour les entreprises, mais un engagement à renforcer
La participation accrue des entreprises, avec plus de 3 000 représentants du secteur privé présents sur 24 000 délégués contre 856 à la COP15, illustre une prise de conscience de leur rôle dans la préservation de la biodiversité. De nombreux événements parallèles ont rendu visible un foisonnement de solutions et de recommandations. Des réseaux d’entreprises français comme ORÉE, EpE, , l'AFEP et l’IFD ont fait le déplacement, accompagnés de grandes entreprises ainsi que de TPE/PME spécialisées sur la biodiversité. La COP16 a permis de mettre en lumière des initiatives sectorielles et de sensibiliser les entreprises aux actions qu’elles peuvent entreprendre. Cependant, l’intégration des enjeux de biodiversité dans les stratégies d’affaires reste insuffisante. La plateforme Entreprises & Biodiversité, animée par ORÉE et soutenue par l’OFB et un comité de 24 experts, a été lancée le premier jour de la COP16 pour inciter les entreprises à publier des stratégies crédibles, tout comme l’accélérateur Now For Nature qui démarrera en janvier 2025.
Objectif 15 : Vers une transparence accrue des entreprises
L’objectif 15 du GBF, visant à ce que les entreprises évaluent et divulguent leurs impacts sur la nature, concerne actuellement 80 % des pays selon la CDB. Bien qu’ambitieux, il nécessitera une collaboration accrue entre pouvoirs publics et secteur privé pour harmoniser les pratiques. L’intervention de Alexandre Marty, Directeur Climat et Nature du groupe EDF, lors du Forum officiel Business and Biodiversity a souligné ces synergies possibles.
Restauration et conservation : des objectifs ambitieux pour le secteur privé
L’Accord de Kunming-Montréal fixe un objectif de restauration et protection de 30 % des terres et mers dégradées. La contribution des entreprises est cruciale, notamment via des initiatives comme l’IAPB (International Advisory Panel on Biodiversity credits) et la société RESTORE.
Vers une mobilisation renforcée d’ici 2026
La COP16, qui a réuni le plus de personnes depuis la création de la CDB en 1992 et a suscité de nombreuses retombées médiatiques, a permis des avancées tout en révélant des défis importants. Le secteur privé, avec ses responsabilités accrues, a grand intérêt à se mobiliser plus concrètement d’ici la COP17, prévue en Arménie fin 2026, pour transformer les engagements globaux du GBF en actions qui font la différence au local. Le soutien de politiques publiques alignées sera essentiel pour “Faire la paix avec la nature", selon le slogan de cette dernière COP.